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Amaranthe - Selphiade

"Amanda, une jeune femme ordinaire, franchit un voile mystérieux et se retrouve projetée dans un monde qu’elle ne connaît pas, peuplé de secrets et de dangers insoupçonnés. Privée de souvenirs récents et liée à une gemme magique convoitée, elle devient la cible de forces puissantes prêtes à tout pour s’approprier ce pouvoir. Aux côtés de Mélisandre, un allié aussi énigmatique qu’agacé par ses erreurs, Amanda – désormais Amaranthe – doit fuir à travers des terres hostiles, apprendre à apprivoiser cette magie étrange, et faire face aux ombres de son propre passé. Alors que des royaumes entiers se déchirent pour contrôler la magie en train de s’éteindre, elle comprend que son rôle dépasse de loin sa propre survie : l’équilibre du monde entier repose désormais entre ses mains."

Chapitre un

Un voile d'espoir

 

Les larmes au bord des yeux, je fouille nerveusement mon sac à la recherche de mes clés. Je ne vois rien à travers le brouillard de mes larmes et je sens la colère bouillir en moi, un sentiment de rage culpabilisant naître en moi. Dans un mouvement de rage, j’essuie les larmes qui commencent à couler et retourne mon sac pour le secouer comme un prunier, y déversant tout son contenu sur le carrelage froid de la cage d’escalier. Quand j’aperçois le trousseau de clés, je le ramasse sans ménagement et déverrouille enfin la porte en pestant, anéantie par cette soirée désastreuse.

Il ne s’agit pas de la soirée en fait.

Toute cette journée a été un véritable désastre !

Je ne sais plus si je suis en colère ou anéantie, peut-être les deux. Mes mains tremblent et sont moites, je peine à rassembler mes affaires pour les remettre dans mon sac. A l’instant où je me relève, j’entends un grincement et me retourne pour voir la porte du pallier derrière moi s’ouvrir.

Ma voisine, une vieille dame seule qui vit avec une dizaine de chats depuis qu’elle a perdu son mari, passe la tête par l’encadrement de sa porte et me dévisage avec son air à la fois curieux et hautain.

- Qu’est-ce que vous regardez ? Je lui demande sur un ton plus sec que je ne l’aurais voulu.

Elle arque les sourcils, se recule sans rien dire et referme silencieusement la porte. Le silence s’installe à nouveau et je me sens tout à coup stupide de m’en être prise à elle.

Lassée, j’entre dans mon appartement, verrouille la porte derrière moi et retire mes chaussures à talons en repensant à ma rupture toute fraîche. Les souvenirs de ce dîner chaotique et de notre dispute défilent en continue dans mon esprit tourmenté et je sens ma gorge se nouer, ma colère s’effondrer et laisser place à un sentiment de tristesse infinie. De nouvelles larmes ruissellent sur mon visage tandis que je me dirige vers ma chambre, partagée entre le dégoût, le chagrin et la honte. J’aurais dû savoir. C’était tellement prévisible. Tous les signes étaient là, mais j’ai voulu y croire jusqu’à la dernière seconde.

Et aujourd’hui, j’en payais le prix. Non seulement je perdais mon fiancé, mais en plus il me reprochait notre rupture. Comment avait-on pu en arriver là ?

Plongée dans mes pensées, je me déshabillai avec des gestes mécaniques. Une fois ma robe de nuit enfilée, je me dirigeai vers la salle de bain et pris le temps d’examiner ma silhouette dans le miroir. C’est à la vue de ma tignasse désorganisée, de mon teint blafard et de mes joues creuses que je réalisai la véracité des paroles de Léo. Je n’avais rien d’attirant en moi. Il avait tellement raison ! Et jusqu’à aujourd’hui, je ne m’en étais pas aperçue. A présent, la chose devenait tellement évidente que je ne comprenais pas comment j’avais pu ne pas m’en apercevoir plus tôt.

Comment avait-il pu m’accepter telle quelle alors que je ne le méritais clairement pas ? Et si je décidais de changer, reviendrait-il vers moi ?

Je sentis une pointe d’espoir croître et, tout à coup déterminée, m’emparai d’une paire de ciseaux.

Il faut bien commencer quelque part et jamais je n’avais réussi à dompter cette chevelure rousse aux boucles trop fermes. Si je les coupais, peut-être que ce serait plus simple. Sans la moindre hésitation, j’empoignai une mèche de cheveux, prête à donner le premier coup de ciseaux. Et puis, tout à coup, le temps se figea.

Le temps se figea. Mon reflet dans le miroir me renvoyait une image étrange, presque étrangère. Une femme aux yeux rougis, à la mâchoire crispée, tenant une mèche de cheveux d’une main tremblante et une paire de ciseaux dans l’autre. Ce n’était pas moi. Pas vraiment.

Un flot de pensées contradictoires déferla dans mon esprit. Est-ce que je voulais vraiment faire ça ? Est-ce que couper mes cheveux allait changer quoi que ce soit ? Léo ne reviendrait pas. Et même s’il revenait, serais-je heureuse avec lui ?

Mes doigts lâchèrent la mèche, et les ciseaux tombèrent dans l’évier avec un bruit métallique. Je posai mes mains sur le rebord du lavabo pour m’y accrocher, cherchant désespérément un souffle, un ancrage. Mes jambes tremblaient, et une nouvelle vague d’émotions monta, cette fois plus forte. Mais ce n’était pas seulement de la tristesse ou de la colère. Il y avait autre chose. Une lucidité brutale.

Je me redressai lentement, le regard fixé sur mon propre reflet. La femme dans le miroir n’était peut-être pas parfaite, mais elle était bien là. Vivante, cabossée, mais debout. Tout ce que Léo m’avait reproché, tout ce que je m’étais infligée à moi-même, cela ne me définissait pas. Pas entièrement.

Je passai mes doigts dans mes cheveux, dénouant doucement les boucles une par une. Non, je ne les couperais pas. Pas ce soir. Peut-être jamais. Parce que ce n’était pas une nouvelle coupe qui me redonnerait confiance. Ce n’était pas ce qu’il fallait changer.

Je laissai échapper un rire, court et nerveux. Depuis combien de temps n’avais-je pas ri, même un peu ?

Je sortis de la salle de bain, toujours pieds nus, et retournai dans ma chambre. Les draps de mon lit semblaient plus accueillants que quelques minutes plus tôt. Avant de me glisser sous les couvertures, je me permis une pensée réconfortante : demain serait un autre jour. Peut-être pas meilleur, mais différent. Et ce serait un début.

 

Aux premières lueurs de l’aube, l’ouvris lentement les yeux et restai immobile quelques secondes, allongée dans mon lit au milieu de ce silence bienvenu. Pour la première fois depuis longtemps, je me sentais sereine, calme, apaisée. Il n’y avait plus trace d’inquiétude ou de tristesse en moi, pas même après les épreuves que j’avais récemment traversées. Tout ça me paraissait être loin derrière moi.

Aujourd’hui, je me sentais légère, revigorée. Je me sentais nouvelle.

Et je souris, fermai à nouveau les yeux et m’imprégnai de la chaleur des rayons du soleil qui se diffusaient dans la chambre et me réchauffaient. Oui, cette journée serait une journée exceptionnelle. Je l’avais décidé ainsi et c’est ainsi que les choses se passeraient.

Enorgueillie, je repoussai les draps de mon lit et me relevai lentement, prête à affronter tous les défis qui s’imposeraient à moi.

Je pris le temps de m’étirer, puis m’avançai vers la fenêtre pour admirer le lever du soleil.

Le soleil naissant baignait la ville d’un éclat doré, transformant les façades ternes des immeubles en miroirs lumineux. Les fenêtres des bâtiments en face scintillaient comme des éclats de cristal, renvoyant la lumière avec une intensité presque magique. Les toits des immeubles, encore humides de rosée ou de pluie nocturne, captaient les premières lueurs, se parant d’un voile argenté.

Au loin, au-delà des rues sinueuses et des antennes perchées sur les sommets des immeubles, le ciel se teintait de nuances de rose et de mauve, chaque couleur se mêlant harmonieusement aux volutes grisâtres de la pollution matinale. Une fine brume, suspendue au-dessus des avenues encore désertes, semblait adoucir les contours du paysage urbain.

Les sons de la ville émergeaient doucement : le sifflement lointain d’un train, le claquement d’une porte quelque part en contrebas, et le bruit sourd des premiers véhicules sur les pavés. Pourtant, dans ce moment suspendu, tout semblait figé, presque irréel.

Je m’attardai sur ce tableau, absorbant chaque détail : les oiseaux perchés sur les lampadaires, leurs chants discrets se mêlant au grondement de la ville qui s’éveillait, et l’éclat du soleil grandissant qui dessinait de longues ombres sur les trottoirs encore vides.

C’était une ville, oui, mais ce matin-là, elle avait l’apparence d’une œuvre d’art, comme si elle aussi célébrait l’arrivée d’un jour nouveau. Je fermai un instant les yeux, inspirai profondément, et laissai l’air s’emparer de mes pensées.

Oui, c’était certain maintenant, cette journée serait une journée exceptionnelle. Et le lever du soleil semblait me donner raison.

Tandis que je me perdais dans la contemplation de ce paysage fabuleux, toute émerveillée, laissant un regard neuf vagabonder sur les courbes des immeubles, un étrange son attira tout à coup mon attention. Celui d’un carillon de cristal. Doux. Discret. Une mélodie à peine perceptible. Intriguée, je me retournai et balayai la pièce du regard, sentant ma joie nouvelle flancher. Il n’y avait rien. Ça ne venait pas non plus de mon téléphone, posé sur la table de chevet, dont l’écran restait éteint.

C’était autre chose encore.

Poussée par la curiosité, je me dirigeai vers la porte et l’ouvris à la volée, prête à surgir de la pièce pour découvrir d’où venait ce son à la fois doux et importun, mais je me figeai immédiatement sur place.

Devant moi, l’encadrement de la porte était occupé par un voile étrange, presque irréel. Il semblait suspendu dans les airs, comme si le vent lui-même hésitait à le toucher. Sa texture évoquait un mélange d’éther et de soie, transparente et vaporeuse, ondulant imperceptiblement malgré l’absence de courant d’air.

À l’intérieur du voile scintillaient une myriade de petites lumières, des étoiles minuscules, oscillant entre des teintes de bleu profond et de violet électrique. Leur éclat n’était pas agressif, mais hypnotisant, comme si chacune d’elles renfermait un fragment d’univers. Certaines pulsaient doucement, au rythme d’un cœur invisible, tandis que d’autres s’éteignaient et se rallumaient avec la légèreté d’un soupir.

Plus je regardais, plus je distinguais des formes mouvantes dans l’épaisseur du voile, comme des ombres fugaces ou des silhouettes dansant à la limite de ma perception. Pourtant, dès que j’essayais de me concentrer, ces formes se dissolvaient, ne laissant que cette lumière étrange et ces reflets surnaturels.

Le son du carillon de cristal semblait provenir de l’intérieur du voile, vibrant avec une harmonie qui défiait toute logique. Chaque note résonnait dans ma poitrine, éveillant des sensations contradictoires : à la fois une paix profonde et une inquiétude sourde, comme si je me tenais au seuil de quelque chose de beau mais dangereux.

Je sentis un frisson parcourir ma colonne vertébrale. Malgré son apparente douceur, ce voile imposait une présence écrasante, comme s’il m’épiait à son tour, me jugeant silencieusement. Mes doigts effleurèrent machinalement le bois de la porte ; j’avais besoin de m’ancrer à quelque chose de tangible pour ne pas sombrer dans l’étrangeté de cette vision.

À travers le voile, je pouvais encore discerner les contours du couloir, mais ils étaient déformés, comme vus à travers l’eau d’un lac. Tout semblait à la fois proche et inaccessible, comme si je regardais un monde parallèle à la fois familier et totalement étranger.

Je fis un pas en arrière, la gorge nouée par une peur indistincte. Quelque chose en moi voulait avancer, tendre la main, toucher cet étrange phénomène… Mais une autre part, plus rationnelle, hurlait de fermer la porte et d’oublier ce que je venais de voir.

Tandis que je fixais le voile scintillant, une étrange sensation me parcourut, comme si l’air dans la pièce était devenu plus dense. Puis, un mouvement attira mon attention.

Sur la table basse, un stylo à bille que j’avais négligemment laissé traîner quelques jours plus tôt se mit à rouler doucement, comme poussé par une brise invisible. Mon souffle se suspendit.

« C’est ridicule, » murmurai-je pour moi-même. Pourtant, je ne pouvais détourner le regard. Le stylo roula encore, cette fois avec plus de force, jusqu’à atteindre le bord de la table.

Avant que je ne puisse réagir, il glissa et tomba. Mais au lieu de s’écraser sur le sol, il sembla aspiré, disparaissant à travers le voile en un instant.

Mon cœur s’emballa. Je m’avançai d’un pas, hésitante. Là où le stylo aurait dû se trouver, il n’y avait rien. Comme si le voile l’avait englouti.

Et puis, à travers la fine surface translucide, je crus apercevoir une silhouette lointaine – ou peut-être une ombre – qui se penchait pour ramasser le stylo.

La joie que j’avais éprouvée quelques instants plus tôt s’était volatilisée, laissant place à une peur croissante. Ce qui se tenait là, devant moi, ne pouvait pas être réel. C’était impossible. Rien de tout ça ne pouvait être vrai. Je n’avais qu’une seule envie, refermer la porte et la rouvrir, dans l’espoir que cet étrange voile disparaisse, mais mon corps refusait de bouger. Ma raison me commandait d’être prudente, de ne rien faire de stupide, mais mon cœur, lui, enivré par un évènement aussi invraisemblable que surréaliste, me poussait à toucher ce voile mystérieux.

Inconsciemment, j’avais déjà tendu le bras, prête à effleurer la surface du voile. A l’instant où je m’apprêtais à le toucher malgré mon indécision, l’alarme de mon téléphone envahit tout à coup la chambre et me fit sursauter. Je reculai aussitôt, terrifiée à l’idée d’avoir été sur le point de faire quelque chose que j’aurais peut-être regretté. Pourtant, malgré moi, je ressentais une pointe de colère et fulminai en me dirigeant vers mon téléphone pour couper nette la sonnerie. Un curieux silence retomba tout à coup et, un instant, j’hésitai à me retourner.

Le voile serait-il toujours là ? Si oui, en avais-je envie ?

Indécise, je fermai les yeux. Et je l’entendis à nouveau. Cette mélodie douce et harmonieuse. Il était encore là. Et je ressentais une certaine joie à le savoir, mêlée à la peur. Malgré tout, je pris mon courage à deux mains, me retournai et approchai à nouveau du voile.

L’ombre étrange que j’avais aperçue à l’intérieur avait disparu, mais cette chose n’était pas normale. Il fallait que je découvre ce que c’était et il n’y avait qu’un seul moyen de le faire. Alors, avant que mon courage ne s’envole et que la peur ne s’empare de moi, je tendis le bras et, sans la moindre hésitation, touchai le voile du bout des doigts.

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© 2016 par Maud Sétan. Créé avec Wix.com

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